
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Valorisation des données massives, une révolution en marche
Montréal pourrait-elle devenir la « Silicon Valley de valorisation des données massives » ? C’est une ambition qui paraît tout à fait réaliste à Valérie Becaert, directrice exécutive de l’institut de valorisation des données (IVADO). L’institut pilote le projet intitulé « les données au service des Canadiens » qui s’est vu octroyer 93,5 m$ par Apogée Canada.
Une concentration exceptionnelle d’expertises et de collaborations
IVADO rassemble les forces de l’Université de Montréal, Polytechnique Montréal et HEC Montréal en matière de recherche opérationnelle, de science des données et d’intelligence artificielle pour aider les entreprises à améliorer leur compétitivité grâce à l’exploitation des données massives (big data) dans la prise de décision. Son réseau s’étend à plus de 900 scientifiques affiliés (chercheurs, postdocs, doctorants et associés de recherche).
Forts de collaborations solidement établies avec l’industrie, les centres d’excellence actifs dans le domaine des données participent à la mission d’IVADO : le Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT), le Groupe d’études et de recherche en analyse des décisions (GERAD) et l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA).
Le comité scientifique d’IVADO est présidé par le Pr Yoshua Bengio, du Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal et directeur de l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal. S’y associent des dizaines de chercheurs de renom, dont notamment le Pr Andrea Lodi, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la science des données pour la prise de décision en temps réel, le Pr Miguel Anjos, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en optimisation non-linéaire discrète en ingénierie, et le Pr François Soumis, titulaire sortant de la Chaire de recherche du Canada en optimisation des grands réseaux de transport.
Fédérées par IVADO, les expertises des scientifiques du campus place celui-ci en première position pour le développement de la filière de l’exploitation des données massives pour la prise de décision.
Possibilités sans limites
« En réunissant les données massives, l’apprentissage profond (deep learning), qui permet aux machines d’apprendre à apprendre par le contact avec un grand nombre de données, ainsi que la recherche opérationnelle et l’optimisation, on obtient des possibilités d’applications qui semblent sans limites. Tous les secteurs vont être transformés », s’enthousiasme Valérie Becaert.
Et de mentionner en exemples le traitement du cancer, les services de soins à domicile ou encore la logistique des soins hospitaliers, pour lesquels des prises de décision reliées aux particularités des patients et des traitements plus ciblés, mais moins coûteux, sont dorénavant envisageables. Dans le commerce de détail, il est possible de cibler plus précisément les besoins des clients et relier l’offre à la demande en temps réel. Dans le domaine de l’énergie, des systèmes domotiques en mesure d’apprendre des modèles de consommation des particuliers pourront prendre des décisions intelligentes pour la maison et profitable pour l’ensemble du réseau électrique.
Une action centrée sur les partenariats
« Les entreprises commencent à savoir utiliser les outils pour récolter et stocker les données, mais la plupart ne savent pas encore créer de la valeur avec ces données, qui se trouve dans la prise de décisions stratégiques », constate Mme Becaert. Afin de les y aider, IVADO mène une action en deux phases.
La première comprend la création d’une communauté d’entreprises et d’organisations de toutes tailles et de différentes natures, pour permettre d’échanger sur les grandes questions reliées à l’utilisation des données, telles que la sécurité, l’éthique, la propriété intellectuelle ou les besoins en ressources humaines spécialisées dans le domaine, par exemple. Aujourd’hui, une vingtaine d’entreprises collaborent avec IVADO.
Le développement de projets de recherche en collaboration avec ces entreprises fait aussi partie de cette phase, de même que le développement d’une offre de formation spécialisée en big data adaptée aux besoins des entreprises. L’Institut encourage également la création de stages en entreprise pour les étudiants de ses centres de recherche, qui représentent d’excellents agents de la valorisation de la recherche au sein des entreprises.
La deuxième phase consiste à alimenter la recherche avec les défis exprimés par les entreprises, mais aussi à cultiver l’entrepreneuriat relié aux données chez les chercheurs et leurs étudiants. Entre autres, en encourageant des investisseurs à prendre part aux projets d’entreprises technologiques issus de la recherche. Plusieurs initiatives visent à stimuler l’intérêt et à accompagner les étudiants aux cycles supérieurs dans leur projet d’entreprenariat.
Transformation profonde des industries annoncée
« Le Québec a de nombreux atouts pour constituer un pôle économique et scientifique international dans la valorisation des données », affirme Valérie Becaert. IVADO participe activement à l’émergence de ce pôle, en faisant une passerelle entre les expertises réputées de notre campus, et les besoins des entreprises, multinationales, PME et entreprises en démarrage comprises. »
Une industrie des TIC en croissance, de grandes capacités de stockage de données, près d’un millier de chercheurs dans le domaine des données massives, des coûts d’exploitation relativement peu élevés, des tarifs énergétiques attractifs… le Québec semble, en effet, avantagé. Mais est-il prêt à se lancer dans ce qui s’annonce comme la nouvelle révolution industrielle et sociale ?
« Il reste des freins à faire tomber, estime Mme Becaert. La province accuse un certain retard numérique, avec, notamment, une sous-utilisation des occasions d’affaires offertes par le Web. Je crois qu’il ne reste que deux choix à l’heure actuelle : soit on rate le train, soit on est dans la locomotive ! Toutefois, le Plan d’action en économie numérique lancé cette année par le gouvernement du Québec laisse croire à une prise de conscience des milieux industriels et des pouvoirs publics. Et le fonds Apogée attribué à notre projet nous aidera à propulser les applications de valorisation de données vers le milieu industriel. »
Elle désigne comme autre frein le déficit en ressources très qualifiées dans le domaine des données massives. Certes, IVADO mène des efforts pour la formation de ces talents et cherche à attirer les meilleurs profils étudiants de partout sur la planète. « Cependant, il faut retenir ces cerveaux, qui sont très courtisés à l’international. La compétitivité des entreprises d’ici en dépend. »
Celle-ci souligne que l’intégration des solutions big data dans les processus d’affaires aura pour conséquence une transformation organisationnelle profonde dans les entreprises. « La structure traditionnelle va être chamboulée, c’est certain ! Les activités se recentrent sur les données, considérées comme une source potentielle de revenu, et non plus sur les processus. Il va falloir briser des silos, car les différents départements de l’organisation vont devoir partager leurs données et former des " lacs " de données accessibles à tous les niveaux de l’entreprise. Cela peut être déstabilisant pour les gestionnaires déjà en poste. En revanche, la nouvelle génération, qui a déjà cette pensée du partage et de ses applications, se trouve avantagée. »