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Une vision démocratique de la parole scientifique

Portrait de la professeure Sarah Dorner

Par Catherine Florès
6 avril 2022 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Printemps 2022)

Professeure Sarah Dorner

Imprégnation culturelle

Sarah Dorner a grandi à Ottawa, non loin du Musée des sciences et de la technologie du Canada. Adolescente, elle fréquente assidûment ce musée où, en tant que bénévole, elle anime des activités de démonstration de technologies et présente un grand nombre de films sur les sciences. « Un film en particulier, To Engineer is Human, m’a beaucoup marquée. Il montrait les erreurs commises par des ingénieurs, notamment civils, et leurs conséquences sur l’environnement et les populations. J’étais déjà, grâce à ma famille, sensibilisée aux questions de protection de la nature. Mais ce film m’a particulièrement aidée à comprendre que tout ce qui a été bâti par des ingénieurs façonne le monde qui nous entoure, et qu’on peut améliorer ce monde en remédiant aux erreurs du passé. Je crois que cela a influencé mon choix d’étudier en génie de l’environnement », témoigne-t-elle.

Affirmation d’une vocation scientifique

C’est donc dans ce domaine qu’elle effectue son baccalauréat et sa maîtrise à l’Université de Guelph dans les années 90. Intéressée par le développement international, elle effectue au cours de son baccalauréat un stage de recherche en Inde. Le projet, encadré par des organismes internationaux d’aide au développement et de soutien à l’environnement, porte sur l’eau et l’agriculture. L’expérience lui fait comprendre l’importance d’établir des collaborations internationales entre experts pour apporter des solutions locales à ces enjeux universels que sont l’accès à l’eau potable et la protection des ressources naturelles. Elle consacre sa maîtrise à l’étude de la contamination des environnements aquatiques produite par l’érosion des terres agricoles qui ruissellent dans les cours d’eau.

Elle entre ensuite à l’Université de Waterloo pour réaliser ses études doctorales sur les impacts de la contamination des eaux par les micro-organismes pathogènes. À cette époque, survient la catastrophe de Walkerton, en Ontario, où une contamination de l’eau du robinet par la bactérie E. coli cause 7 décès et rend malades plus de 2 000 personnes. « Ces événements ont renforcé ma volonté de comprendre les phénomènes en œuvre dans la contamination par micro-organismes pathogènes et leurs enjeux en termes d’environnement et de santé publique », mentionne la chercheuse. Après avoir obtenu son doctorat, celle-ci part enseigner deux ans et demi à l’Université du Massachusetts, où elle dirige un centre de recherche sur les ressources hydriques.

Sur la piste des micro-organismes pathogènes

De retour au Canada, Sarah Dorner devient professeure au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique en 2007 et mène des recherches sur la dynamique des contaminants microbiens dans les sources d’approvisionnement en eau.

« La protection des ressources en eau ne cesse de se complexifier, constate-t-elle. Alors que nous sommes aux prises aujourd’hui avec les impacts des changements climatiques sur la qualité des eaux et l’émergence de nouveaux contaminants, d’anciens problèmes, qui semblaient être résolus, font leur retour. C’est le cas des cyanobactéries, par exemple. À partir des années 60, des actions ont été menées pour régler les problèmes de pollution par nutriments des Grands Lacs. On s’est occupé des sources ponctuelles, notamment les affluents municipaux, en les débarrassant en particulier du phosphore et de l’azote. Mais il reste tellement de sources diffuses de nutriments qu’avec le temps, on ne parvient plus à les neutraliser suffisamment. Les cyanobactéries se remettent à prospérer et se répandent dans les rivières jusque dans les océans. Plusieurs acteurs sont parties prenantes, c’est donc aussi en grande partie un problème de gouvernance. »

Dernièrement, avec la pandémie, elle a élargi ses champs de recherche : « Au lieu de regarder l’impact des affluents sur les milieux récepteurs, je me suis intéressée à ce qui se passe en amont. Avec mon équipe, nous mesurons la concentration de micro-organismes pathogènes – en ce moment, c’est le SRAS-CoV-2 – dans les eaux usées. Elle est indicatrice de l’évolution du virus dans la population. »

Étudiants très engagés

Enseigner, c’est aussi vouloir transmettre sa passion et sur ce point, la Pre Dorner trouve un public très réceptif chez ses étudiants. « Ils sont sensibilisés très tôt dans leur vie aux questions environnementales. Leurs études en génie leur apprennent à raisonner de façon transversale sur ces questions et à faire des liens entre différents domaines pour concevoir des solutions. »

Chez ses étudiants au baccalauréat, elle note une différence à leur retour de stage. « Ils comprennent davantage les impacts des avancées dans leur domaine et cela amène une autre dimension aux discussions en classe. »

Elle se réjouit de constater que ses étudiants aux cycles supérieurs sont mus par la volonté de participer à quelque chose de plus grand que leurs projets personnels. Elle apprécie aussi le fait qu’une fois diplômés, ils demeurent en contact avec elle voire souhaitent une collaboration de recherche.

Nécessaire dialogue avec les citoyens

Sarah Dorner est le type de scientifique qui prend volontiers la parole dans l’espace public. Dans son domaine, c’est une nécessité, pense-t-elle. Elle souligne que les sondages montrent que la population est sensible aux enjeux de l’environnement et que la qualité de l’eau potable est une de ses préoccupations prioritaires. « Mais la population est-elle sensibilisée au point de se préoccuper si les investissements nécessaires sont faits pour régler les problèmes? », s’interroge-t-elle.

Elle souligne que dans le domaine de l’eau, l’aspect gouvernance entre particulièrement en jeu, et donc que l’engagement social est primordial. « D’où la nécessité de communiquer avec le public, du début à la fin de nos projets de recherche, afin qu’il comprenne nos objectifs et la signification de nos résultats. Et il est important de ne jamais faire l’impasse du contexte social de tout ce que nous faisons. »

Selon elle, les chercheurs en génie environnemental peuvent plus facilement communiquer en évitant les controverses que leurs collègues en sciences sociales, car ils peuvent s’appuyer sur des résultats concrets. « Pour nous, il est plus aisé de dépassionner un sujet même quand on aborde des questions d’équité et de justice. Par exemple, si je fais une présentation sur la contamination par le mercure qui affecte certaines populations, je peux expliquer comment le mercure s’accumule dans les espèces aquatiques qui seront consommées par les humains. Je mets ainsi en contexte les questions sociales reliées au problème. »

Elle est toutefois consciente que la prise de parole publique comporte certains risques. « Quand on accepte de s’exprimer dans un forum organisé par une entreprise ou un groupe d’intérêts, on peut donner l’impression de légitimer leur positionnement ou leurs activités. Il faut être très prudent dans ses choix de participation. Idem lorsqu’on s’exprime dans les médias. Et il faut toujours demeurer en contrôle de son message. »

Maintenir les liens

Soucieuse de la vague actuelle de désinformation massive, Sarah Dorner prône la préservation de liens entre les gens. « Ce qui est important, c’est de conserver la confiance que les gens ont en nous, afin d’éviter qu’ils n’aillent chercher ailleurs leurs informations. C’est notre devoir de chercheurs de fournir des informations scientifiquement valides, mais il faut aussi se montrer humbles et respectueux, même quand on n’est pas d’accord avec les gens. C’est un des grands défis de notre époque!

« Je pense qu’il faut garder en tête que les batailles contre la désinformation peuvent se gagner à long terme. Donc acceptons que, parfois, nous ne parvenions pas à convaincre les gens immédiatement. Ne perdons jamais de vue nos objectifs et, surtout, soyons à l’écoute. »

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