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Plaidoyer pour un réinvestissement dans la recherche fondamentale

Mot de François Bertrand, directeur de la recherche, de l’innovation et des affaires internationales

1 novembre 2017 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Automne 2017)
1 novembre 2017 - Source : Magazine Poly
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François Bertrand

Contexte canadien

Les 15 dernières années ont été marquées par une carence du soutien à la recherche fondamentale au Canada. Le rapport déposé en avril dernier par le Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale (rapport Naylor) l’établit clairement. Ce rapport mentionne notamment que les fonds réels d’immobilisations dans la recherche entreprise par des chercheurs indépendants ont diminué de 30 % au cours des dernières années. Il souligne aussi que le Canada ne fait plus partie aujourd’hui des 30 pays qui investissent le plus dans la recherche.

Cette désaffection publique pour la recherche fondamentale, non compensée par les dépenses privées de R&D, menace la capacité d’innover du pays. Ce que confirme la chute du Canada dans le classement Global Innovation Index : du 11e rang des pays innovants en 2008-2009, il est passé au 18e rang en 2016-2017. Le rapport Naylor conclut à la nécessité de réinvestir massivement dans la recherche fondamentale. Il recommande d’accroître de 485 M$ sur quatre ans le financement direct de la recherche axée sur la découverte. En outre, il fait valoir qu’un investissement de 1,3 milliard $ sur quatre ans serait nécessaire pour soutenir les infrastructures de recherche.

Polytechnique joint sa voix à celles des autres universités canadiennes pour que les recommandations du rapport Naylor ne restent pas lettre morte. Pour le développement économique du Canada et le bien-être de ses générations futures, il devient urgent que le gouvernement fédéral s’engage pour un réinvestissement massif dans la recherche fondamentale.

La recherche fondamentale, mère du progrès technologique

La recherche fondamentale vise la production et la transmission de connaissances. Sa nature, c’est l’exploration, son moteur, la curiosité intellectuelle des chercheurs. Pour se réaliser, elle a besoin de temps et de liberté, et ses résultats sont bien souvent imprévisibles. Il n’en demeure pas moins que, sans elle, il n’y aurait pas de percées majeures en recherche appliquée, car elle constitue « le socle sur lequel tout le reste est possible », comme l’a nommée le Pr Serge Haroche, prix Nobel de physique en 2012.

Recherche fondamentale et recherche appliquée sont nécessaires et complémentaires. Toutes deux s’inscrivent dans un continuum : la recherche fondamentale produit des connaissances nouvelles qui alimentent la recherche appliquée, laquelle génère des technologies transférables dans l’industrie. La recherche fondamentale est donc le premier maillon de la chaîne du progrès technologique indispensable à la croissance économique, à l’innovation et à la création d’emplois. L’affaiblir en réduisant son financement produit, par conséquent, un effet domino néfaste sur toute cette chaîne.

Les ambitions légitimes de la recherche à Polytechnique

La mission de Polytechnique est axée sur une formation de qualité en ingénierie à tous les cycles, sur des recherches pertinentes et de haut niveau qui tiennent compte des besoins du milieu industriel et de la société, sur des projets novateurs à fort impact répondant aux besoins de l’industrie, et enfin sur le rayonnement intellectuel et social tant au Canada qu’à l’étranger.

Fidèle à cette mission, Polytechnique est performante sur les plans de la production de connaissances, de la formation de main-d’oeuvre hautement qualifiée et de la création d’entreprises par essaimage. De ce fait, elle contribue à l’émergence de nouvelles technologies de pointe et devient un pôle d’attraction de talents et d’investissements internationaux.

Pour illustrer mes propos, il me vient à l’esprit ces exemples parmi tant d’autres :

  • Dans le domaine biomédical, des travaux annonciateurs de technologies transférables en milieu hospitalier, au bénéfice d’un grand nombre de patients. Entre autres, les nanorobots capables de combattre des cellules cancéreuses in vivo, conçus par le Pr Sylvain Martel, ou le coupleur à fibre optique créé par la Pre Caroline Boudoux et le Pr Nicolas Godbout, et commercialisé par leur entreprise Castor Optique.
  • Les travaux du Pr Ke Wu sur les micro-ondes et l’électronique radiofréquence, qui ouvrent la voie aux systèmes de communication du futur et qui ont conduit la chinoise Huawei à établir un partenariat de recherche avec Polytechnique, une première pour elle au Québec .

À l’échelle de la métropole, la participation de Polytechnique à la mise sur pied d’un Bureau de l’enseignement supérieur avec la Ville de Montréal met en lumière son engagement envers la résolution de problématiques de la Ville et son rôle dans le positionnement de Montréal comme ville de savoir et d’innovation.

Notre impact, ainsi que celui des autres universités canadiennes, pourrait toutefois s’essouffler sans un soutien public adéquat de la recherche fondamentale que nous menons. Une conséquence pourrait être de voir de plus en plus de professeurs délaisser leurs travaux de recherche fondamentale au profit de travaux plus appliqués, réputés plus faciles à financer grâce à l’appui de partenaires industriels.

L’importance de la recherche dans les écosytèmes du savoir

Nous avons accueilli favorablement les initiatives de promotion de l’innovation annoncées récemment par les gouvernements canadien et québécois :

L’Initiative des supergrappes d’innovation au Canada, dans le cadre de laquelle deux propositions du Québec ont été présélectionnées : la supergrappe des chaînes d’approvisionnement axées sur l’intelligence artificielle et de la science des données, ainsi que la supergrappe des systèmes et des technologies de mobilité du XXIe siècle.

L’intention du gouvernement du Québec d’investir 585 M$ d’ici 2022 dans la chaîne d’innovation pour faire du Québec une des sociétés les plus innovantes de l’Organisation de coopération de développement économique (OCDE). Cet investissement prévu dans le cadre de la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation pour les années 2017-2022 priorisera des secteurs porteurs en recherche et en innovation, afin de renforcer la compétitivité du Québec.

L’annonce d’un investissement additionnel de 180 M$ destiné à encourager la recherche et l’innovation dans les établissements d’enseignement supérieur du Québec, ainsi qu’un soutien de 100 M$ à la création d’une grappe en intelligence artificielle qui mettra notamment à profit l’expertise de l’Institut de valorisation des données (IVADO) confondé par Polytechnique, l’UdeM et HEC Montréal.

Les grappes industrielles forment des écosystèmes de savoir et d’innovation favorisant une collaboration fructueuse entre universités, organismes gouvernementaux et industries. La recherche fondamentale, majoritairement réalisée au sein des universités, y joue un rôle essentiel, que ce soit pour la compréhension des problématiques pluridisciplinaires qui y sont abordées ou pour l’émergence des idées d’innovation menant au développement et au lancement de solutions sur le marché.

Développer une vision cohérente de la recherche canadienne

S’il est de la responsabilité de l’État de soutenir la recherche fondamentale, ses actions doivent se fonder sur une vision cohérente de la recherche et de ses objectifs à long terme, ce qui a fait défaut ces dernières années. À cet égard, la nomination de la Dre Mona Nemer comme Scientifique en chef au Canada est une bonne nouvelle.

Prête à collaborer avec les autres universités et le gouvernement pour mettre en oeuvre les recommandations du rapport Naylor, Polytechnique espère voir soutenus l’équilibre et la continuité qu’elle a réussi à maintenir entre recherche fondamentale et recherche appliquée.

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