
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Mettre l’IA au service du développement durable
L’IA offre un potentiel considérable pour améliorer la compréhension, la gestion et l'atténuation des impacts environnementaux. Valérie Bécaert, titulaire d’un doctorat en génie chimique de Polytechnique, en est convaincue, elle qui a abordé le domaine de l’IA par le prisme du développement durable.

Valérie Bécaert, directrice du groupe de la recherche en IA et des programmes scientifiques de recherche fondamentale chez ServiceNow Research.
De l’ACV à l’IA
Spécialisée dans l'analyse du cycle de vie (ACV), celle-ci a, en effet, dirigé le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) pendant six années. Elle a également cofondé et dirigé le Centre interdisciplinaire en opérationnalisation du développement durable (CIRODD). Elle reconnait avoir ressenti une certaine frustration devant la difficulté d’accéder à suffisamment de données relatives aux flux de matières dans le cadre de la quantification des impacts environnementaux de produits ou de services.
« Les industries se montraient souvent réticentes à partager leurs données essentielles, souvent en raison d'un manque de savoir-faire dans leur collecte. Pourtant, il est crucial de disposer de données complètes et précises pour garantir l'exactitude des calculs en ACV. Je me suis donc tournée vers un domaine qui accorde une attention particulière aux données : l'optimisation et les mathématiques. »
Ainsi, en 2015, Valérie Bécaert est devenue directrice exécutive d’IVADO. Elle s’est ensuite jointe à Element IA. À la suite de l’acquisition de l’entreprise en 2022 par ServiceNow, spécialisée en outils de gestion des flux de travail numériques, elle dirige désormais le groupe de la recherche en IA et les programmes scientifiques de ServiceNow Research.
Élargissement du champ des possibles en recherche environnementale
Par sa formidable capacité à traiter de grandes quantités de données provenant de diverses sources, à identifier des risques potentiels et à modéliser des scénarios d'impact, l’IA représente une alliée incontournable pour la recherche environnementale, souligne Mme Bécaert. « Il y a une dizaine d'années, l'accès rapide aux impacts de l'activité humaine était un objectif ambitieux. Aujourd'hui, l'IA le rend possible en permettant une génération et une modélisation des données plus efficaces et moins coûteuses. De plus, depuis l’arrivée de l'IA générative, les interactions avec l'information sont simplifiées. Les modèles actuels sont en mesure d'extraire des informations pertinentes à partir de vastes corpus de données, ce qui permet une meilleure accessibilité et une utilisation plus efficace des connaissances disponibles. »
L’experte mentionne à titre d’exemple la gestion plus efficace et durable des marchandises, des composants et des matériaux grâce à l’IA générative. Cette dernière améliore l'analyse des données provenant de différentes sources dans une chaine d’approvisionnement ou de production et permet également d'identifier des modèles et des opportunités d'amélioration.
Réduction des impacts en agriculture
De nombreux autres domaines bénéficient du rôle de l’IA dans la promotion de pratiques durables, rapporte Mme Bécaert. L’IA annonce, par exemple, l’avènement de l’agriculture de précision. « Par l’analyse combinée des conditions météorologiques, de l’état des sols et d'autres facteurs, des systèmes d’IA peuvent recommander des pratiques agricoles spécifiques à chaque parcelle, réduisant ainsi le gaspillage de ressources et les impacts environnementaux, tout en augmentant la productivité. »
En étudiant les images satellite, les systèmes d'IA peuvent également surveiller en temps réel des territoires, des installations industrielles ou des infrastructures, détectant des anomalies, comme des incendies, ou des écarts par rapport aux normes environnementales.
Sensibiliser, éduquer et encourager la créativité
Évidemment, cette révolution technologique ne peut s’observer uniquement avec des lunettes roses, précise Valérie Bécaert. « Les côtés sombres de l’IA existent. Ce sont ceux de l’humanité : appât du gain et recherche de la facilité. Il est facile de céder à ces tentations et de basculer dans l'excès. Par exemple, de grandes entreprises utilisent l'IA pour exploiter l'économie de l'attention, incitant ainsi à une surconsommation. »
Mme Bécaert mentionne aussi un effet encore peu connu : l'empreinte écologique de ces technologies, qui entraînent d’importantes émissions de CO2. « Les modèles les plus performants ne sont pas les plus transparents! »
La maturité de notre société détermine notre capacité à utiliser l'IA de manière responsable et éthique, estime l'experte. Sensibiliser la population et former les professionnels sont des étapes cruciales pour aborder les défis et les opportunités de l'IA de manière constructive.
« Je pense aussi qu’une formation en IA est nécessaire dans tous les domaines du génie, au même titre que les formations en développement durable et en éthique. De cette façon, les ingénieurs de demain seront aptes à mieux comprendre et à exploiter cette technologie de manière créative, contribuant ainsi à façonner son impact sur la société. »