
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Amener de la télépathie dans les réseaux
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Le Pr Yvon Savaria, titulaire de la Chaire de recherche industrielle en traitement programmable de paquets à haut débit.
Professeur au Département de génie électrique de Polytechnique, Yvon Savaria a lancé récemment les activités de la Chaire de recherche industrielle en traitement programmable de paquets à haut débit. Un projet qui permettra à terme aux centres de données d’accueillir des technologies nécessitant des puissances de calcul toujours plus grandes… sans avoir à débourser des dizaines de millions de dollars.
Assis dans son bureau des pavillons Lassonde, la brume d’un humidificateur se dissipant devant lui, Yvon Savaria griffonne une série de traits sur un bout de papier pour aborder un sujet qui le passionne visiblement : l’organisation des infrastructures réseau à l’intérieur des serveurs des centres de données. Pour l’heure, ces réseaux sont organisés de façon à répondre efficacement à de multiples requêtes indépendantes, des requêtes dites « de parallélisme embarrassant » (« embarrassingly parallel »). L’avènement d’applications dédiées aux réseaux électriques intelligents, à la 5G, aux voitures autonomes et aux réseaux de neurones est toutefois en train de changer la donne, selon le professeur du Département de génie électrique de Polytechnique.
« Ces nouvelles applications viennent avec un besoin de faible latence », explique-t-il. « Et pour y parvenir, il faut leur donner accès à la capacité de calcul d’un très grand nombre de processeurs interconnectés, possiblement des centaines de milliers, voire des millions, travaillant ensemble de façon coordonnée. »
Le chercheur n’hésite pas à parler de télépathie pour illustrer son propos. « L’objectif, c’est de faire en sorte que les processeurs se parlent plus efficacement, un peu comme si on amenait les cerveaux des habitants d’une ville à communiquer par télépathie pour développer une conscience commune », ajoute-t-il. « Au lieu de s’envoyer des courriels, ces personnes uniraient leur capacité de traitement de l’information pour servir une seule application. »
Il faut toutefois contourner un grand problème : l’infrastructure réseau de plusieurs centres de données demeure statique. Il leur est impossible d’accueillir de nouvelles applications avant l’arrivée d’une nouvelle génération de processeurs offrant la puissance de calcul nécessaire pour pallier le problème d’organisation du réseau. « Ça crée une inertie immense à l’amélioration des réseaux », explique M. Savaria. « Il faudrait pouvoir réorganiser la structure des réseaux en fonction des besoins de chaque application. »
Améliorer le langage P4
Voilà le problème auquel M. Savaria et son équipe souhaitent maintenant s’attaquer avec la Chaire de recherche industrielle en traitement programmable de paquets à haut débit. Financée à la fois par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), par le géant américain Intel, ainsi que par deux jeunes pousses québécoises, Kaloom et NoviFlow, cette chaire veillera à rendre les futurs serveurs plus facilement « programmables » afin que leur structure puisse s’adapter aux besoins spécifiques des applications.
Les étudiants rattachés au projet veilleront à améliorer le langage de programmation P4 (« Programming Protocol-Independent Packet Processors »). Cet outil, déjà utilisé pour faciliter la circulation des paquets de données sur les réseaux, a quelques limites, reconnaît le chercheur. « Il n’est pas encore mature et il faut le faire évoluer », dit-il.
L’équipe de la Chaire cherchera ainsi à étendre le langage P4 afin de permettre à des programmeurs d’améliorer simultanément une application complexe. Elle veillera aussi à ce que des extensions soient compatibles avec les nouvelles propriétés du langage et à fournir une gestion de trafic améliorée en exploitant notamment les techniques d’intelligence artificielle embarquée.
Dotée d’une enveloppe de plus de 3,1 millions de dollars répartis sur cinq ans, la Chaire permettra de former 15 étudiants, dont huit aux cycles supérieurs, et aussi d’embaucher un nouveau professeur au Département de génie électrique de Polytechnique.