L’évaluation des impacts sur l'environnement – Processus, acteurs et pratique pour un développement durable, 4e édition

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Suivi environnemental du complexe environnemental La Grande, Baie James, Canada

11.6.1 Mise en contexte
Le projet de la baie James se situe dans l’est du Canada, plus précisément dans le centre ouest du Québec (fig. 11.13). Ce projet de développement énergétique majeur, annoncé en 1971, a mené à la signature en 1975 de la Convention de la baie James et du Nord québécois (CBJNQ) par les représentants des nations autochtones cries, inuites, de ceux d’Hydro-Québec, de la Société de développement de la baie James, de la Société d’énergie de la baie James (SEBJ) et de ceux des gouvernements du Québec et du Canada (Gouvernement du Québec, 1991). Cette convention régit un territoire d’une superficie de plus de un million de kilomètres carrés, soit les deux tiers du Québec. Elle renferme 31 chapitres dont un seul traite des aménagements hydroélectriques du complexe La Grande et des mesures d’atténuation qui s’y rattachent ; les autres ont trait au régime des terres, à la mise en valeur de ce vaste territoire, à la poursuite des activités traditionnelles d’exploitation des ressources fauniques, au développement économique, à l’administration de la justice, de la santé, des services sociaux, de l’éducation et de la protection de l’environnement.

Figure 11.13 Territoire du projet de la baie James.


Au début du projet, les populations autochtones totalisaient quelque 6500 Cris et moins de 5000 Inuits. Leurs villages étaient principalement distribués le long des côtes des baies James, d’Hudson et d’Ungava. Quelques villages cris occupaient la partie intérieure, au sud du territoire.

Quant aux Naskapis, ils ont signé, en 1978, une convention s’inspirant de la CBJNQ. Leur population atteignait alors environ 450 personnes. Cette nation occupe un territoire intérieur, situé dans la portion nord-est du Québec.

Le projet hydroélectrique du Complexe La Grande, le seul qui ait vu le jour au sein du territoire de la baie James et du Nord québécois, se trouve entre les latitudes 48° et 55° Nord et les longitudes 79° et 68° 30' Ouest. Il est situé à quelque 1000 km au nord de Montréal, dans une région au climat subarctique où la température moyenne annuelle est de -4 °C avec des moyennes de -23 °C en janvier et de 14 °C en juillet. Les précipitations moyennes annuelles y sont de l’ordre de 750 mm, dont le tiers sous forme de neige pendant 7 à 8 mois. La végétation est de type taïga. En général, la densité des ressources fauniques est relativement faible sauf le long de la côte de la baie James et de certains axes fluviaux.

Ce complexe tient son nom de La Grande Rivière, sur laquelle on a aménagé huit centrales hydroélectriques d’une puissance totale de 15 244 MW en deux phases successives, soit entre 1973 et 1985 et entre 1987 et 1996.

La Grande Rivière, véritable fleuve, s’écoule d’est en ouest sur une distance voisine de 850 km. Son débit annuel, en conditions naturelles était de 1700 m3/s. La dénivellation relative entre son réservoir de tête, le réservoir Caniapiscau, et son embouchure dans la baie James, est de 535 m. Son bassin versant aménagé couvre une superficie de 176 800 km2. La topographie de ce vaste territoire est celle d’un plateau constitué de formations rocheuses du Bouclier canadien datant de l’ère précambrienne. L’action des glaciers, au cours de la dernière période géologique, a façonné ce relief et favorisé le dépôt d’une mince couche de matériaux morainiques et l’accumulation localisée de sédiments fluvio-glaciaires. Des sédiments plus fins se sont déposés dans la mer qui talonnait le glacier dans son retrait vers le nord-est, il y a environ 8000 ans. Cette masse d’eau a recouvert une plaine littorale d’une largeur actuelle de 250 km. Par suite du relèvement isostatique postglaciaire, les rivières ont entaillé ces dépôts marins, dégageant ainsi des talus sensibles à l’érosion sous toutes ses formes. Ailleurs, d’immenses tourbières recouvrent ces sédiments marins.

Après le retrait des glaciers, les Autochtones venant du sud ont commencé à occuper età utiliser la portion est de ce territoire, il y a plus de 3500 ans, s’adonnant aux activités de chasse, de pêche et de piégeage. Ils se sont déplacés vers l’ouest. Avec l’arrivée des Européens, ce mouvement migratoire s’est intensifié à la faveur de l’installation de postes de traite de fourrures, notamment à l’embouchure des rivières, où une sédentarisation apparut.

11.6.2 Historique et justification du suivi
Tel qu’il a été recommandé par le groupe de travail fédéral-provincial à la suite de l’annonce, en 1971, du développement hydroélectrique de la baie James, la SEBJ et Hydro-Québec ont voulu considérer cette région comme un vaste laboratoire de recherche et d’étude où des équipes multidisciplinaires chercheraient à déterminer comment les grands aménagements étaient susceptibles de modifier les processus écologiques. C’était le début d’un vaste programme de suivi environnemental, né de la volonté des promoteurs d’agir comme citoyens corporatifs responsables de protéger l’environnement et de suivre les effets de leurs interventions dans le milieu. Ce programme à l’échelle du Complexe s’est poursuivi pendant plus de 25 ans, mais devrait se terminer sous peu, du moins en partie, avec le retour des variables étudiées à des valeurs comparables à celles observées en milieu non aménagé.

Phase I. Les travaux de construction étant en cours au moment de la signature de la Convention (CBJNQ), les parties ont convenu d’exempter du régime d’environnement prévu dans cette convention, les équipements de la phase I, soit les centrales La Grande-2 (maintenant Robert-Bourassa), La Grande-3 et La Grande-4 ainsi que les projets de dérivation partielle, en particulier celles des rivières Eastmain-Opinaca et Caniapiscau, qui ont permis de doubler le débit moyen annuel de La Grande Rivière. Cela ne signifie pas que l’environnement n’a pas fait l’objet d’études et de suivi environnemental, bien au contraire.

Avant le début des aménagements hydroélectriques en 1975, on a installé des stations de relevés à des endroits stratégiques pour suivre l’évolution des milieux aquatiques modifiés, notamment en ce qui a trait à la qualité de l’eau, aux communautés de poissons et à la teneur en mercure dans les poissons. Ainsi, on a placé des stations à l’aval et à l’amont du site des centrales hydroélectriques, au sein des réservoirs, dans les biefs des portions fluviales et à l’embouchure de celles-ci. En 1977, ce réseau de 26 stations (appelé Réseau de suivi environnemental, RSE) a reçu validation d’un comité d’experts internationaux et ce même comité a examiné ses résultats annuellement jusqu’en 1985 (fig. 11.14).

Par ailleurs, des programmes de suivi ont porté sur les autres composantes du milieu aquatique (benthos et plancton), sur les principales ressources fauniques terrestres et aviennes et leurs habitats ainsi que sur les composantes du milieu humain (archéologie, utilisation du territoire, retombées économiques, modes de vie). Trois organismes spécifiés dans la CBJNQ, regroupant

Figure 11.14 Complexe hydroélectrique La Grande. Stations d’échantillonnage du Réseau de suivi environnemental.


des représentants autochtones, ont eu le mandat, soit de voir à la protection de l’environnement, soit d’élaborer des programmes de suivi environnemental et de mettre en oeuvre des mesures d’atténuation. La SEBJ, responsable de la construction des équipements de production y inclus des aménagements correcteurs, a produit des rapports de synthèse en 1985. Après les travaux de la phase I, Hydro-Québec a pris la relève de la SEBJ pour la poursuite, en phase d’exploitation, des activités du suivi environnemental.

Phase II. Les aménagements de la phase II du complexe La Grande ont fait l’objet d’une évaluation de leurs impacts sur l’environnement, comme le requièrent les dispositions du régime environnemental inscrit dans la CBJNQ. Ils sont assujettis, en ce qui regarde les études de suivi environnemental, aux conditions des certificats d’autorisation de leur construction.

C’est le cas des centrales La Grande-1 et de La Grande-2-A dans le secteur ouest du territoire et des centrales Laforge-1, Laforge-2 et Brisay dans le secteur est. En 1997, la SEBJ a remis ces équipements à Hydro-Québec ainsi que les obligations afférentes en matière de suivi environnemental.

Dans cette étude de cas, nous examinerons les projets des centrales La Grande-1 et La Grande-2A qui ont fait l’objet d’un plan directeur de suivi déposé en 1990 (SEBJ, 1990 b), conformément aux conditions de leurs certificats d’autorisation. Ce plan fut révisé en 1994 (SEBJ, 1994), à la suite des commentaires reçus du Comité d’examen (COMEX) où siègent des représentants autochtones et du ministère de l’Environnement.

11.6.3 Plan directeur de suivi des centrales La Grande-1 et La Grande-2A
Après réception de la part de la SEBJ d’un avis de projet concernant chacun des deux aménagements de centrales précités, le ministère de l’Environnement du Québec a émis des directives relatives à la conduite des études d’impacts environnementaux de ces projets. Dans ces études, le promoteur devait élaborer les grandes lignes d’un programme de suivi sur les composantes de l’environnement susceptibles d’être affectées par ces projets.

À la suite du dépôt de ces études d’impacts en 1985 et en 1986 et après consultation du COMEX, le sous-ministre de l’Environnement a émis un certificat d’autorisation pour chacun des deux aménagements concernés. Plusieurs conditions accompagnaient ces certificats, dont celle d’élaborer un plan directeur détaillé de suivi environnemental qui serait commun aux deux aménagements, compte tenu du fait que ceux-ci allaient modifier le même tronçon de La Grande Rivière sur une longueur de 112 km.

Avant que surviennent les modifications hydrologiques apportées par la construction des ouvrages, on a mis en oeuvre dès 1987 un programme de suivi pour une période de trois ans afin de définir l’état de référence (SEBJ, 1990a). Sur la base des résultats obtenus, on a préparé un plan directeur de suivi pour les phases construction et exploitation qu’on a transmis au ministère de l’Environnement et de la Faune (MEF)** pour acceptation en 1990. À la suite de commentaires reçus de la part du COMEX, on a déposé une version révisée de ce plan en 1994 (SEBJ, 1994). Enfin, en 1998 (Hydro-Québec, 1998), le MEF a accepté une demande d’ajustements de ce plan, vu que certaines variables suivies étaient revenues à des valeurs correspondant à celles rencontrées dans des stations de référence, comme nous le verrons plus loin. Les variables qui ont fait l’objet d’un suivi apparaissent au tableau 11.9. Elles ne concernent que le milieu naturel aquatique et riverain.

Le milieu humain fera l’objet d’une étude de suivi séparée, à la lumière d’une expérience vécue présentement dans le cadre de l’étude des projets des centrales Laforge-1, Laforge-2 et Brisay, localisés plus à l’Est, sur La Grande Rivière. Cette étude est menée auprès des trappeurs et de leurs familles, avec la participation étroite de coordonnateurs cris des trois communautés visées. Elle concerne les impacts des projets sur l’utilisation du territoire, sur les impacts sociaux et sur les retombées économiques.

Le plan directeur de suivi s’étend sur une période de dix ans, soit de 1991 à 2000, de façon à couvrir les phases construction et exploitation des deux projets. Les objectifs généraux de ce plan mentionnés dans l’étude d’impact ont été repris par le MEF dans les certificats d’autorisation, à savoir :

  • de vérifier, de façon générale, l’évolution réelle du milieu par rapport aux prévisions et d’en informer les autorités responsables et les principaux intéressés ;
  • de déceler suffisamment tôt les répercussions non prévues qui pourraient se manifester, afin de pouvoir prendre les moyens pour les éviter ou les atténuer;
  • de compléter les connaissances de base afin d’améliorer les méthodes de prédiction de répercussions pour les projets futurs.


Comme on peut le constater, les paramètres hydrologiques (débits, niveaux, température de l’eau et glaces) ont fait l’objet d’un suivi annuel, étant donné qu’ils sont à la source des répercussions observées. Les autres variables ont fait l’objet d’un suivi avec espacement dans le temps, selon les changements attendus. Au réseau de stations de suivi environnemental établi en phase I du complexe se sont ajoutées de nouvelles stations. Elles ont été localisées notamment au centre du futur réservoir La Grande-1, à l’amont et à l’aval immédiat de la centrale LG-1. Ce faisant, on s’assurait de bien suivre l’évolution de chacun des écosystèmes modifiés. Ces stations ont fait l’objet de relevés à compter de 1986, soit au début de la période d’établissement des conditions de référence. La fréquence d’échantillonnage proposée par la SEBJ et acceptée par le MEF se basait sur les résultats de suivis antérieurs des stations du RSE. Ainsi, on prenait des relevés annuels quand on appréhendait des modifications soutenues de la variable étudiée, telle ’hydrologie, sinon on prenait des relevés bi-annuels, comme dans les cas du suivi de la qualité de l’eau, du poisson et du mercure. Comme les résultats des premières campagnes de relevés indiquaient une certaine stabilité, on a demandé au MEF d’ajuster la fréquence d’échantillonnage et ce dernier a accepté.

Tableau 11.9 Calendrier des activités du suivi environnemental de La Grande-2-A et La Grande-1 (1991-2000) après ajustements


11.6.4 Principaux résultats du suivi
Avant de présenter les principaux résultats découlant des programmes de suivi environnemental, il convient d’apporter les précisions suivantes.

Les conditions de référence qui prévalaient avant la construction des centrales La Grande-1 et La Grande-2A étaient celles héritées des modifications hydrologiques apportées par les aménagements hydroélectriques de la phase I réalisés plus en amont sur La Grande Rivière. Le nouveau régime hydrologique de la section fluviale à l’étude est celui imposé notamment par l’exploitation de la centrale Robert-Bourassa (5328 MW) située au kilomètre 112 et de son important réservoir (2835 km2), près desquels on allait construire la centrale LG-2A dont l’apport additionnel en puissance serait de 1998 MW. Ces conditions de référence ont prévalu entre 1985 et 1990, soit après la mise en service complète de la centrale Robert-Bourassa et avant le début de celle de LG-2A survenue en 1991 et complétée un an plus tard. La mise en service de la centrale La Grande-1, d’une puissance de 1368 MW, située au kilomètre 37 de La Grande Rivière, s’est amorcée au début de 1994 et s’est terminée en septembre 1995. À des fins de simplification, nous ne traiterons pas ici de l’année de transition 1993, marquée par le remplissage du réservoir La Grande 1, la fin de la mise en service de la centrale LG-2A et le début de celle de La Grande-1. Cette courte période a cependant fait l’objet d’un suivi (SEBJ, 1994).

Les conditions de référence (SEBJ, 1990a), les modifications attendues et les incidences potentielles inscrites dans les études d’impact (Hydro-Québec et SEBJ, 1985 et 1987), ainsi que les modifications et les impacts réels observés dans le cadre du suivi environnemental, apparaissent dans les tableaux 11.10 et 11.11. Les résultats qu’ils renferment concernent respectivement le secteur amont de la centrale La Grande-1, soit son réservoir, et le secteur aval de cette même centrale, soit l’estuaire de La Grande Rivière.

Secteur amont de la centrale La Grande-1. Dans le secteur amont de la centrale La Grande-1, les études ont porté sur l’hydrologie, la dynamique sédimentaire, la qualité de l’eau, les végétations riveraine et aquatique, ainsi que les poissons et le mercure.

Hydrologie. Aux sites des centrales LG-2A (kilomètre 111) et LG-1 (kilomètre 37), les débits et les niveaux d’eau sont enregistrés. Six autres stations hydrométéorologiques mesurent soit le niveau, soit la température de l’eau, soit les deux (fig. 11.15). Compte tenu de la capacité restreinte du réservoir La Grande-1 (1,3 km3), les débits turbinés à la centrale au fil de l’eau LG-1 sont les mêmes que ceux turbinés aux centrales souterraines Robert-Bourassa et LG-2A. De plus, les apports hydrauliques des quelques tributaires entre ces deux sites de production hydroélectrique n’atteignent que 30 m3/s.

Tableau 11.10 Bilan du suivi environnemental de La Grande Rivière à l’amont de la centrale La Grande-1

Tableau 11.10 (suite) Bilan du suivi environnemental de La Grande Rivière à l’amont de la centrale La Grande-1


Les débits moyens annuels d’été (période sans glace) et d’hiver observés dans le cadre du suivi environnemental sont comparables à ceux qui existaient en conditions de référence et inférieurs à ceux prévus dans les études d’impact. Les débits à la centrale LG-1 fluctuent entre la valeur maximale de 5950 m3/s, voisine du débit d’équipement, et la valeur minimale de 900 m3/s annoncées dans l’étude d’impact. Ce dernier débit a été déterminé pour protéger les corégones contre les venues d’eau froide de la baie James durant l’hiver, pour contrôler les niveaux d’eau près de la prise d’eau du village de Chisasibi et pour empêcher la remontée du coin salin de la baie James.

Tableau 11.11 Bilan du suivi environnemental de La Grande Rivière à l’aval de la centrale
La Grande-1

Tableau 11.11 (suite) Bilan du suivi environnemental de La Grande Rivière à l’aval de la centrale La Grande-1

Figure 11.15 Localisation des stations hydrométéorologiques de La Grande Rivière à l’aval de la centrale LG-2-A. Source : Hydro-Québec, 2001.


Avant la construction de la centrale LG-1, les niveaux d’eau de La Grande Rivière dans le
tronçon fluvial situé à l’amont du site retenu pour son implantation étaient soumis exclusivement à l’exploitation de la centrale Robert-Bourassa. Ils variaient annuellement de 2 à 3 m, en moyenne. La création du réservoir à l’amont de la centrale LG-1 allait entraîner un rehaussement des niveaux d’eau de 15 m, mais les variations annuelles de niveaux prévues et observées allaient être faibles, soit de l’ordre de 0,30 m. Comme il a été défini dans la convention La Grande 1986, ces variations devront toujours se situer entre les niveaux extrêmes de 32,0 m et de 30,5 m.

Les vitesses moyennes d’écoulement sont de 0,30 m/s, comme le prévoit l’étude d’impact, soit la moitié de ce qu’elles étaient avant la création du réservoir LG-1.

Les températures de l’eau concordent avec celles prévues pour un hiver aux conditions thermiques moyennes (LHL, 1988). La température de l’eau fluctue en fonction de la température de l’eau turbinée à la centrale Robert-Bourassa et en fonction de la température de l’air. La masse d’eau du réservoir ne présente pas de stratification thermique, compte tenu du temps très court de renouvellement des eaux (59 h contre 25 h, au débit maximal) et l’écart de température dans toute la colonne d’eau ne dépasse pas 0,05 °C. Par rapport aux conditions de référence, les eaux sont plus froides en été et plus chaudes en hiver (Groupe-Conseil LaSalle, 2002).

Le régime des glaces, pour sa part, est quelque peu différent de ce qu’on avait prévu, notamment en raison de la hausse relative des températures de l’air au cours des derniers hivers.

Normalement, la couverture de glace s’installe lorsque la température de l’eau atteint 0 °C à la mi-décembre. La température de l’eau augmente de quelques dixièmes de degrés après avoir été turbinée. Une zone d’éclaircie s’allonge ainsi sur 15 à 20 km, à l’aval des centrales. Les glaces disparaissent vers la fin du mois de mars sous l’effet du réchauffement des températures de l’air, de l’action des vents et des débits turbinés (Hydro-Québec, 2001).

Dynamique sédimentaire. Après la mise en service de la centrale Robert-Bourassa et des aménagements de la phase I du complexe La Grande, l’augmentation des débits et des niveaux d’eau à l’aval a contribué, durant la période de référence, à une érosion annuelle de 720 000 m3 des berges de La Grande Rivière. Toute cette charge sédimentaire était alors transportée vers l’embouchure.

On prévoyait réduire cette érosion du tiers en créant le réservoir LG-1. Or, on a observé une érosion annuelle de 100 413 m3 de 1991 à 1999 (Géo-3D, 2001). Les sables érodés (10 % du volume total) se déposent au fond du réservoir LG-1, le reste transite en suspension vers l’aval.

Qualité de l’eau. La qualité de l’eau est demeurée stable après aménagement, comme prévu. Comme en conditions de référence, seules la turbidité de l’eau et la température changent occasionnellement (Lalumière, 2001). Végétations riveraine et aquatique. Comme prévu, la végétation riveraine déjà peu développée ou disparue localement n’a pas connu d’amélioration après la création d’un réservoir au faible marnage. L’absence du cycle annuel d’inondation riveraine ne favorise pas le développement de la strate arbustive. Par contre, des herbiers localisés ont pu croître dans des aires abritées (Bouchard et al., 2001).

Poissons et mercure. Les principales espèces de poissons pêchées avant la construction des centrales LG-2A et LG-1 sont demeurées présentes dans le réservoir créé à l’amont de cette dernière, comme l’a annoncé l’étude d’impact. Les rendements de pêche et les différents coefficients de condition, de croissance et de recrutement sont demeurés excellents et comparables à ceux existant avant ces aménagements hydroélectriques de la phase II du complexe La Grande.

Ils dépendent des conditions d’exploitation des aménagements de la phase I (Therrien et Lalumière, 2001).

Il en va de même des concentrations en mercure dans les poissons. La faible superficie de terres inondées (40 km2) par le réservoir explique aussi cette situation, si bien qu’on obtient des valeurs semblables à celles rencontrées dans les lacs naturels environnants (Therrien et Schetagne, 2001).

Secteur aval de la centrale La Grande-1. Les études ont porté sur l’hydrologie, la zostère marine, la qualité de l’eau, les végétations riveraine et aquatique, les poissons et le mercure.

Hydrologie. Pour les débits turbinés, on a les mêmes données qu’au tableau 11.11. Les variations moyennes annuelles des niveaux à l’aval immédiat du site de la future centrale LG-1 étaient de 4,7 m avant l’aménagement des centrales LG-2A et LG-1. On prévoyait, dans l’étude d’impact, qu’elles seraient réduites à 3,6 m après la mise en service de cette centrale. Le marnage moyen annuel observé est plus près de 4,0 m. Cette centrale répond aux besoins énergétiques de pointe.

Les variations de niveaux d’eau journalières et hebdomadaires prévues en 1986 découlaient de simulations de conditions moyennes qui ne tenaient pas compte de l’effet de la marée ni des besoins énergétiques réels de pointe. Aussi les valeurs observées sont-elles différentes.

Selon les débits turbinés, les vitesses moyennes d’écoulement observées à l’aval de LG-1 varient de 1,0 m/s à 2,0 m/s, ce qui est supérieur d’environ 0,4 m/s à ce qui était prévu et de 0,6 m/s par rapport aux conditions de référence (Groupe-Conseil LaSalle, 2002).

Comme prévu, les températures de l’eau en hiver sont comprises entre 0 °C et 0,3 °C, selon la situation de la station hydrométéorologique par rapport à la centrale. En été, la température moyenne de l’eau se situe entre 8 °C et 14 °C, ce qui est comparable aux conditions thermiques anticipées et à celles prévalant avant l’aménagement de la centrale.

Généralement, la couverture de glace s’installe de la mi-décembre jusqu’à la fin de mars ou au début d’avril. Une glace accidentée et souvent parsemée d’éclaircies se développe de l’embouchure de La Grande Rivière jusqu’au kilomètre 20. Ce régime prévu correspond aux conditions de référence. Toutefois, au cours des derniers hivers doux, la durée et l’extension du couvert de glaces se sont amenuisées.

Sous l’action des glaces, des courants et d’autres facteurs mais surtout des vagues, un volume de 80 000 m3/an de sédiments était érodé des berges avant la construction de la centrale LG-1. C’est essentiellement la rive gauche de La Grande Rivière qui était touchée, en raison du tracé de la rivière, de la géométrie et de la géologie des berges de cette bande riveraine. On prévoyait une augmentation de 37 % de l’érosion à la suite de la mise en service de LG-1. Dans les faits, celle-ci a diminué en moyenne de 44 % (Géo-3D, 2001). En conséquence, la charge sédimentaire qui se dépose à l’embouchure est moindre d’autant plus que les 10 % de sable qui compose les berges à l’amont de la centrale se sédimentent dans le réservoir qu’on a créé.

Comme prévu, à l’embouchure, une érosion des chenaux deltaïques survient depuis l’accroissement des vitesses d’écoulement associé à l’augmentation des débits turbinés. Les îlots deltaïques migrent aussi plus rapidement vers la Baie-James (Savard, 1996).

Pour des débits compris entre 1500 m3/s et 4000 m3/s, le panache d’eau douce a atteint, avant et après la mise en service de la centrale LG-1, des superficies comparables, comme le prévoyait l’étude d’impact (Messier et al., 1989).

Zostère marine. La distribution et l’abondance de cette plante marine qui sert à l’alimentation d’oiseaux migrateurs, le long de la côte de la baie James, étaient initialement variables dans le temps et dans l’espace. On ne prévoyait pas de changement à la suite de la construction des centrales hydroélectriques à l’étude. Or, depuis 1998, on observe un dépérissement régional qui déborde amplement la zone d’influence du panache d’eau douce de La Grande Rivière aménagée. Ce problème, observé notamment sur la côte est américaine et sur la côte du golfe du Saint-Laurent, serait lié à l’invasion d’un microorganisme favorisée par les étés chauds et les hivers doux des dernières années (Lemieux et Lalumière, 2000).

Qualité de l’eau. La qualité de l’eau est demeurée stable au cours des deux périodes comparées. Des variations de température et une turbidité accrue localement subsistent toujours (Lalumière, 2001).

Végétations riveraine et aquatique. Jusqu’à présent, la végétation riveraine et la végétation aquatique n’ont pas subi de changements majeurs. On note une réduction de l’herbaçaie au profit de l’arbustaie. L’érosion des berges naturellement sensibles en rive gauche, en raison de leur géométrie et de leur composition géologique, se poursuit toujours. À la faveur des remontées de niveaux d’eau, les glaces à la dérive exercent leur action contre des portions de la strate arbustive (Bouchard et al., 2001).

Poissons. Depuis la mise en service de LG-1, le rendement de pêche moyen global est plus variable qu’avant. Il est lié aux fluctuations de l’abondance de l’espèce dominante, le meunier rouge. Comme on le prévoyait, les principales espèces demeurent toujours présentes mais avec une augmentation des espèces tolérantes à l’eau froide. L’exploitation de la centrale entraîne des déplacements des poissons. Les résultats du suivi démontrent clairement que les conditions de survie des poissons sont excellentes et au moins aussi bonnes qu’en lac témoin (Therrien et Lalumière, 2001).

Mercure. Depuis la période de référence, les concentrations en mercure dans les poissons dépendent des apports du réservoir Robert-Bourassa. Les teneurs sont comparables à celles mesurées dans les lacs naturels, sauf une fois encore pour le meunier rouge (Therrien et Schetagne, 2001).

11.6.5 Communication des résultats
Depuis 1999, les résultats des programmes de suivi environnemental que nous venons de décrire font l’objet de présentations régulières à l’ensemble de la communauté crie de Chisasibi.

Pour répondre plus spécifiquement aux préoccupations des utilisateurs de l’estuaire La Grande Rivière à l’aval de la centrale LG-1, concernant les variations de niveaux d’eau, une information quotidienne à cet effet leur est transmise par Internet. Il s’agit des données de niveaux d’eau enregistrés aux trois stations hydrométriques réparties dans ce segment fluvial. Aux données mesurées au cours des trois derniers jours s’ajoutent les prévisions de niveaux à ces mêmes stations pour les trois jours suivants. En outre, les modalités d’exploitation des centrales du complexe La Grande par rapport à l’ensemble du parc d’équipement ont été expliquées aux membres du Groupe de travail Chisasibi-Hydro-Québec. Ce groupe, constitué de trois représentants de chacune des deux parties, a pour tâche de résoudre les problèmes associés à l’exploitation du complexe La Grande en regard des activités de la communauté de Chisasibi. Il propose des mesures d’atténuation en conséquence.

Depuis l’an dernier, on présente les présentations de l’ensemble des programmes de suivi environnemental rattachés aux aménagements de la phase II du Complexe aux analystes du ministère de l’Environnement (MENV) et aux membres du Comité d’examen (COMEX). Ce comité est constitué de deux représentants cris et de deux représentants gouvernementaux ; le président est désigné par arrêté en conseil. Selon la CBJNQ, le COMEX joue un rôle de conseil auprès du MENV en matière de protection de l’environnement sur l’ensemble du territoire touché par la Convention. Lors de ses réunions, dont la fréquence est établie en fonction des besoins, il scrute les études d’impact et de suivi des différents projets prévus sur ledit territoire et formule des recommandations appropriées. Lors de la remise des rapports synthèses, une demande de quittance est adressée au MENV pour les composantes du milieu dont l’évolution s’apparente à celle observée en milieu témoin.

Tous les résultats et enseignements des programmes de suivi environnemental seront éventuellement disponibles sur Internet.

11.6.6 Enseignements du suivi
De ces programmes de suivi des composantes du milieu naturel situé à l’amont et à l’aval de la centrale La Grande-1, il ressort que les prévisions d’impact inscrites dans les études d’impact se sont avérées généralement justes dans les faits, sauf pour quelques variables.

Ainsi, à l’amont de la centrale, on a mesuré un volume d’érosion des berges moins élevé que prévu et plus réduit qu’en conditions de référence. L’action de butée des eaux du réservoir et les faibles fluctuations de niveaux ont eu un effet bénéfique plus grand qu’escompté sur la stabilité des berges.

Pour toutes les composantes biologiques de ce milieu, les conditions prévues et observées sont comparables à ce qu’elles étaient avant la mise en place des aménagements hydroélectriques LG-2A et LG-1. Les effets des équipements de la centrale Robert-Bourassa, construite antérieurement, expliquent cette situation.

À l’aval de la centrale LG-1, les débits et les niveaux moyens annuels et saisonniers sont comparables à ce qu’ils étaient durant la période de référence. Les variations journalières et hebdomadaires de niveaux d’eau s’écartent des simulations de conditions moyennes qui ne tenaient pas compte de l’effet de marée et des réels besoins énergétiques de pointe.

L’érosion des berges s’est avérée plus faible que prévu et qu’en conditions de référence. Des ouvrages de protection d’une longueur de 3 km mis en place en face de Chisasibi et à l’aval immédiat de la centrale LG-1 expliquent en partie cet écart. Compte tenu de la sensibilité naturelle des berges hautes et à pente forte, notamment en rive gauche, cette situation peut changer. Il en va de même de la végétation riveraine qui dépend de ce substrat fragile ainsi que des conditions de glaces et de niveaux d’eau.

L’introduction d’un facteur externe aux modifications physiques apportées par l’aménagement hydroélectrique de La Grande Rivière explique le dépérissement de la zostère marine, le long de la côte de la baie James.

En ce qui concerne les autres composantes du milieu biologique, l’évolution prévue et observée s’apparente à ce qu’elle était en conditions de référence. Les rendements de pêche variables et l’augmentation des espèces de poissons tolérantes à l’eau froide sont plus marqués que prévu, même si les conditions de survie sont comparables à celles du milieu témoin.

Comme enseignement plus général découlant du plan directeur du suivi des deux projetsà l’étude, il convient de dire que ce plan visait bien l’ensemble des composantes du milieu naturel susceptibles d’être modifiées par ce type d’aménagement. À la lumière des résultats obtenus après sept années de suivi, on a demandé des ajustements au plan directeur au ministère de l’Environnement. Ces ajustements touchaient en particulier l’annulation des dernières campagnes de pêche dans la baie James et la réduction du nombre de relevés touchant la qualité de l’eau, étant donné la stabilité des valeurs obtenues. Par ailleurs, vu la lenteur de l’évolution du delta à l’embouchure de La Grande Rivière, on a demandé d’attendre une dizaine d’années avant de procéder à de nouvelles mesures. Enfin, on demandait de réduire le nombre de stations hydrométriques sans compromettre le suivi des modifications hydrologiques. Les autorités gouvernementales ont accepté ces demandes justifiées.

Dans l’élaboration des directives et des certificats d’autorisation de futurs projets du même type, on devrait s’interroger davantage sur la nature, sur la durée et la fréquence des relevés. Les représentants et conseillers cris ont fait des représentations en ce sens auprès du ministère de l’Environnement lors du dépôt de l’étude d’impact. Ils ont également commenté le plan directeur du suivi environnemental soumis par le promoteur en réponse à certaines conditions du certificat d’autorisation de la construction du projet de La Grande-1. À la lumière de l’expérience vécue, l’ensemble des utilisateurs, et non seulement leurs délégués, devraient davantage s’engager dans la préparation, l’actualisation des programmes de suivi environnemental et dans l’évaluation de l’efficacité de ces programmes.

Dans une optique d’amélioration continue des processus d’évaluation environnementale, il faudrait que les analystes gouvernementaux responsables de la rédaction des directives et des certificats d’autorisation prennent en compte les fruits de telles études, souvent longues et coûteuses. Enfin, il faudrait inciter les promoteurs ou comités de suivi à rendre accessibles les résultats des programmes de suivi environnemental.

* Section rédigée par Robert Denis (robert.denis2@sympatico.ca) alors conseiller en environnement.

**Le ministère de l’Environnement du Québec a porté le nom, durant un certain temps, de ministère de l’Environnement et de la Faune.